Emery | I'm not living in your shadow : I AM your shadow

La vie est quand même drôlement faite. Il ne se passe pas une seule journée sans que je ne remarque d’une façon ou d’une autre, son sens de l’humour plus que particulier et d’aussi loin que je m’en souvienne, il en a toujours été ainsi.
La première de ses petites blagues fut le jour de ma naissance, un jour d’ordinaire peu ordinaire dans la vie d’un individu, un jour spécial…qui n’a plus rien de spécial quand il est partagé avec quelqu’un d’autre. En effet, quelques secondes après moi, un autre petit être me ressemblant comme deux gouttes d’eau, pointa silencieusement le bout de son nez. Ce petit être était ma sœur, Emily.

Alors que l’on me posait sur le ventre de ma mère pour ce qui devait être une rencontre magique, son attention était tournée vers le silence assourdissant qui provenait d’Emily : elle ne pleurait pas. Tout le monde dans la pièce s’agitait afin d’obtenir les cris tant attendus, tant et si bien que ma mère manqua de me laisser tomber, tout à son inquiétude pour ma sœur…drôle n’est-ce pas ?
Après des secondes qui semblèrent durer une éternité, Emily poussa enfin son premier cri, faisant alors de ma mère la femme la plus heureuse du monde…si jeune et elle savait déjà se faire désirer et faire une entrée remarquée. Aujourd’hui encore, elle est la seule capable de rendre maman si heureuse. Le jour de notre naissance marqua le premier événement d’une longue lignée, pour lequel les yeux ne seraient rivés que sur une seule des jumelles et j’entendrais parler de la naissance miraculeuse de ma sœur chaque année pour notre anniversaire.

Nous sommes donc jumelles, deux âmes diamétralement opposées, dans deux corps presque parfaitement identiques…ça aussi c’est marrant. La vie aurait été bien plus facile si on ne se ressemblaient pas autant.
La seule chose qui permettait de nous différencier était un petit grain de beauté que j’avais au-dessus de la lèvre à droite, particularité qu’Emily m’enjoignit très vite à camoufler à l’aide de maquillage, préférant que je lui ressemble en tous points. Nous devions avoir tout juste six ou sept ans quand elle m’avait attiré dans la salle de bain de nos parents, avait commencé à fouiner dans les affaires de maman, arguant qu’elle l’avait vu utiliser un truc génial pour effacer ce qu’elle qualifiait de défaut : du fond de teint. Elle en appliqua donc maladroitement sur mon grain de beauté, mais remarqua que le résultat n’était pas exactement le même. Pourquoi ? Eh bien parce que notre maman est blanche, et que nous, nous sommes métisses. J’avais donc une tâche claire sur la peau, ce que maman remarqua immédiatement. Alors Emily lui dit, une petite moue triste dont elle seule avait le secret, affichée sur le visage, qu’elle voulait simplement qu’ont soient totalement pareils, comme de vraies jumelles, ce que maman trouva, follement attendrissant. Alors lors des courses suivantes, elle ramena du fond de teint correspondant à notre couleur de peau et montra à ma sœur comment faire pour effacer notre différence. Et voilà : nous étions à présent parfaitement identiques…du moins si on oublie la tâche de naissance en forme de cœur que j’ai au creux des reins, mais celle-là, je n’ai pas à la camoufler : on ne la remarque que quand je suis en bikini, ce qui n’arrive pas si souvent que ça.
Bébés, ce grain de beauté était la seule chose qui permettait à nos parents de nous identifier, et enfants, c’était l’absence de sourire de prime abord sur mon visage. Je souriais bien-sûr, mais seulement quand j’étais avec Emily – ou Lee comme je l’appelais petite –, car en dépit de la différence de traitement évidente entre nous deux, j’aimais ma sœur plus que tout.

Cette petite particularité physique effacée, maman décida de jouer le jeu des jumelles à fond, nous habillant et nous coiffant constamment de l’exacte-même façon, pour que la similitude soit parfaite. Je me souviens d’un jour où, lassée d’avoir encore été appelée Emily à l’école, j’avais défais les deux couettes faites par ma mère, pour opter pour une seule queue de cheval. Lee avait boudé toute la journée, mais personne ne s’était trompé de prénom, pas même notre maîtresse qui était même heureuse de pouvoir enfin nous différencier. Bien sûr, je m’étais faite grondée en rentrant à la maison et on me fit bien comprendre qu’une telle chose ne devrait plus se reproduire. « Regarde comme ta sœur est triste à cause de toi…tu ne devrais pas la rendre aussi triste Emery » m’avait dit ma mère, un air dur sur le visage, ce qui m’avait brisé le cœur. Je ne voulais pas que ma sœur soit triste, surtout à cause de moi. Alors le lendemain, et tous les jours qui suivirent, je mis beaucoup de soin à accorder ma tenue à la sienne et à m’assurer que la moindre mèche de mes cheveux bouclés, ressemble à celles de ma sœur. J’appris même sans m’en rendre compte, à adopter les mêmes mimiques et expressions qu’elle pour lui faire plaisir. J’avais surpris mes parents en train de se disputer ce soir-là car mon père reprochait à ma mère de vouloir que nous soyons absolument identiques…je n’ai jamais connus l’issus de cette dispute.
Bien sûr, Lee suggéra bien vite que l’on s’amuse encore plus avec notre ressemblance et commencèrent nos traditionnels « échanges de jumelle ». Je me faisais passer pour elle et elle pour moi, ce qui était plus que facile vue que nous n’étions qu’une seule et même personne : Emily. Nous étions un tout, toujours liées, toujours collées l’une à l’autre et complices comme jamais. Nous avions même inventé notre propre langue, afin de n’être comprises par personne d’autre, ce qui une fois encore, amusait notre mère, qui avait elle-même toujours rêvé d’avoir une sœur, mais qui n’avait eu que des frères.
Ça alarma notre école par contre, qui remarquait bien que nous étions en train de devenir une seule et même personne, plutôt que deux individus distinct, bien que physiquement semblables, capable de se débrouiller seuls. A l’école, je faisais le travail pour deux, – Emily ne voyait pas pourquoi elle devait s’embêter à le faire si je le faisais pour elle – et Lee se sociabilisait pour nous deux, rassemblant et fascinant toute l’école avec son bagou, son assurance et son sourire –  je ne voyais pas pourquoi m’embêter à me faire des amis, si elle le faisait pour moi. Résultat : ses notes étaient aussi catastrophiques que mes capacités sociales. Alors la direction prit une décision terrible pour nous à l’époque : nous séparer. Je passerais au 6th grade, tandis que Lee restait en 5th grade pour rattraper son retard. Maman protesta avec force, mais papa accepta cette décision, persuadé que cette séparation ne pouvait pas mieux tomber et qu’elle nous ferait le plus grand bien. Ce fut donc seule que je fis mon entrée au collège.

Totalement perdue dans cet univers sans ma sœur, je devais à présent me faire des amis et ce fut seule que Lee dût s’attaquer à son travail scolaire. Elle eut bien plus de succès que moi dans sa nouvelle tâche et rattrapa en un trimestre à peine, le retard de toute l’année passée – avec mon aide, certes, mais quand même –, tandis que moi, je me fis avec grande peine, un seul ami : Tobias. Le seul avantage que je tirais de cette situation plus qu’inconfortable, était qu’à présent que nous n’étions plus dans le même établissement, je n’étais plus contrainte de porter les mêmes tenues que ma sœur. Petit à petit, je laissais derrière moi les petites robes rosées, pailletées, près du corps et parfois un peu trop courtes à mon gout, que ma sœur affectionnait tant et commençait à opter pour des jeans et des crops top, dans lesquels j’étais bien plus à l’aise, et je découvrais le plaisir de laisser mes boucles fraîchement détachées, se promener librement autour de mon visage : la liberté. Il m’arrivait même certains jours de ne pas camoufler mon grain de beauté que Toby remarquait pour la première fois. Je retrouvais bien sûr mes bonnes vieilles habitudes le week-end à la maison, calquant mon style vestimentaire sur celui de Lee, mais à l’école, j’étais un peu plus moi et moins elle.

Le travail impressionnant de ma sœur et le plaidoyer enflammé de ma mère parvinrent à convaincre la direction de l’école : Lee allait me rejoindre au collège au mois de Janvier. A la maison, je l’aidais à rattraper son retard sur l’année, tout en m’avançant sur mes propres devoirs, commençant déjà à plancher sur le programme de l’année suivante. Intrigués, nos parents nous firent passer quelques tests afin de savoir ce qui pouvait se passer dans nos jolies petites têtes et le diagnostic tomba : Emily était précoce et j’étais surdouée. Mais ce furent quand même les capacités d’adaptation de Lee qui furent acclamées par maman. En effet, en à peine 3 semaines de cours, Emily était déjà la plus populaire des 6th grades, tandis que je me contentais bien de mon amitié avec Tobias.
Je terminais mon année, première de ma promo, suivie de près par Tobias puis par Lee, avec une moyenne telle que l’on suggéra que je saute une classe…ce que ma mère refusa bien évidemment. « Elles viennent à peine d’être réunies, ce n’est pas pour les séparer à nouveau » avait-elle dit, outrée à l’idée que l’on sépare une fois encore ce qu’elle avait mis passé tant de temps à créer. La direction demanda cependant à ce que nous soyons malgré tout dans deux classes différentes. Maman pesta, mais finit par accepter en voyant que papa semblait d’accord avec cette idée.
Alors je poursuivis mon cursus normalement, en m’ennuyant allègrement. A la fin du 7th grade, je venais de terminer le programme des 9th grade et à la fin du collège, j’avais déjà la tête à mes études universitaires, tandis que Lee faisait le strict minimum pour être parmi les meilleurs, ne cherchant pas l’excellence. Elle avait une vie sociale telle, qu’elle ne pouvait pas se permettre de perdre du temps à étudier plus que nécessaire. Tandis que je passais mon temps libre à la bibliothèque avec Tobias à travailler, Lee devenait la capitaine des cheerleaders.
Durant la Freshman year, je me laissais enfin convaincre de passer les essais pour rejoindre l’équipe et il s’avéra que j’étais aussi douée que ma sœur à notre plus grande surprise, et à celle de toute l’équipe. J’étais douée, très douée, mais je n’étais pas à ma place. Ces tenues, cet entrain, ces apparences, ces heures passées à devoir se pomponner pour les matchs et les compétitions…ce n’était vraiment pas ma tasse de thé. Et puis à présent que nous avions de nouveau la même tenue et la même coiffure (ce stupide uniforme et cette queue de cheval), j’étais sans cesse interpellée et alpaguées par tous les soupirants de ma sœur. Pire encore : un jour, son petit copain s’était trompé de Sutton, m’avait attrapé dans les couloirs et m’avait embrassé. Il avait fallu qu’Emily arrive et le réprimande pour qu’il comprenne son erreur. Alors, après de multiples supplications, je finis par convaincre Lee de me laisser quitter l’équipe. Je dû bien sûr affronter la déception de ma mère le soir en lui annonçant la nouvelle, mais j’y étais un peu habituée à présent. Et puis le cheerleading, c’était la passion de ma sœur, son petit royaume, pas le mien.

J’avais moi aussi mon petit talent que je gardais bien sûr pour moi : je chantais comme un rossignol comme le disais mon père, l’artiste de la famille. Il jouait de la guitare et chantait depuis tout jeune, passion qu’il avait transmise à Bash et à moi-même. Ah ? Je ne vous aie pas encore parlé de Bash ? Désolée.
Basher est mon grand-frère. Demi-frère plutôt, mais grand-frère pour moi. Papa l’a eu avec une autre femme avant qu’il ne rencontre maman. Nous n’avons pas vraiment grandi ensembles (il a 5 ans de plus que nous et maman n’était pas vraiment ravie à l’idée de l’accueillir à la maison), mais j’ai toujours demandé à passer du temps avec lui, alors quand papa allait le voir, il m’emmenait souvent avec lui. Contrairement à maman, Colleen, l’ex-femme de papa, prenait beaucoup de plaisir à m’avoir chez elle, où je suis d’ailleurs toujours la bienvenue. Elle aimait beaucoup Bash, plus que tout même, mais avoir une fille était son rêve de jeune fille.
C’était une des rares choses que Lee et moi faisions l’une sans l’autre et un de mes passe-temps préféré : passer du temps avec Bash. Lui aussi il jouait à la guitare et il avait même un groupe de musique. Il me conviait toujours à leurs répétitions et me laissait chanter avec eux, ce qui m’amusait beaucoup…surtout que j’avais un petit coup de cœur pour le batteur du groupe. La musique et le chant, c’était un peu notre petit secret à tous les 4…Papa, Bash, Colleen et moi et parfois, j’avais presque l’impression que nous étions une famille, une autre famille.
Mais cette situation pesait beaucoup à maman : voir sa fille rentrer à la maison en parlant d’une autre femme en des termes si élogieux lui était plutôt difficile à vivre. Et puis elle lui dit que « séparer les jumelles aussi souvent n’était sans doute pas bénéfique pour elles ». Alors elle accepta de recevoir Bash à la maison, pour éviter que je passe du temps avec Colleen, la seule femme qui semblait s’intéresser à moi en tant que moi, pas à moi en tant que jumelles.

Lors de son premier séjour à la maison, Bash était à quelques semaines de ses 18 ans. Il fit officiellement la connaissance de maman et d’Emily, qui, désireuse de rattraper son retard, commença son opération séduction pour amadouer Bash. Mais il fut bien le premier homme que je connaisse à ne pas fondre pour son sourire et ses minauderies. Il semblait irrité dès qu’elle entrait dans la pièce et supportait difficilement qu’elle me considère comme sa propriété. Nous avions tous les deux une vraie relation, aussi vraie que celle que j’avais avec Lee, pas aussi forte, certes – rien ne saurait égaler le lien entre des jumelles –, mais tout aussi réelle et, ne me reconnaissant pas, Bash blâmait ma sœur pour ces différences.
A la maison, j’étais bien différente de chez Colleen : je souriais moins, parlait moins et laissait toute la place à ma sœur, ce qu’il n’appréciait guère et Lee supportait difficilement de ne pas être le centre d’attention de tout le monde. Ca allait même jusqu’à ne pas supporter comment l’autre m’appelait : Lee m’appelait Em’ ou Mimi depuis que nous étions enfants, tandis que Bash m’appelait Sky…C’était moi qui lui avait demandé de m’appeler Skyler pour changer et il préférait Sky. Même papa s’y mettait parfois ce qui irritait grandement maman et Lee.
Bash vint passer un autre séjour avant ses 18 ans puis il refusa de remettre les pieds à la maison, bien conscient que ni maman ni Emily ne souhaitaient l’y voir. Il garda malgré tout le contact avec moi et m’invitait régulièrement pour un café ou un dîner entre frangins comme il le disait, ce qui m’arrangeais bien : je ne voulais pas mettre Emily mal à l’aise et la présence de Bash la dérangeait, je le voyais bien. Alors je n’en parlais jamais, et lui mentais même quand je le voyais, prétendant sortir avec Toby, tant et si bien qu’elle en vint à penser que nous étions plus que des amis…je la laissait le penser, ayant trouvé l’excuse parfaite pour voir mon frère. Toby était au courant bien sûr et jouait le jeu dès que j’en avais besoin, en vrai ami qu’il était.

L’entrée au lycée fut mouvementée pour nous : les années de travail minimum de Lee commençaient à se faire sentir, tandis que moi je trépignais à l’idée d’en finir avec le lycée. J’avais la tête à la physique et aux mathématiques. C’était tout ce que je voulais faire. Lee n’était pas mauvaise élève, loin de là, mais il lui fallait faire un peu plus d’efforts et à ça, elle n’était pas prête. Elle devait faire un choix : renoncer à une partie de sa vie sociale pour travailler plus, ou poursuivre ainsi et risquer de se voir glisser vers les moins bons. C’étaient du moins les seules options qu’on lui avait données, mais elle en avait une troisième dans la manche : moi et « l’échange de jumelles ». Si jusqu’ici, ces échanges avaient comme seul et unique but d’amuser la galerie et de se distraire, elle souhaitait aujourd’hui que l’on passe à la vitesse supérieure. La première fois qu’elle m’avait demandé de la remplacer en classe, j’avais grandement hésité…ce n’était pas vraiment mon genre de faire ce genre de choses. Mais elle me présenta ça comme un défi et ça, j’en avais grandement besoin dans mes longues journées d’ennuis. Mon ennui en classe était tel, que la majeure partie de mes enseignants avaient pitié de moi et me laissaient étudier autre chose en classe, ou à la bibliothèque. Et puis Lee me prit par les sentiments comme elle savait le faire et je ne pût lui dire non…je ne pouvais jamais dire non à ma sœur. Alors le lendemain j’avais quitté la bibliothèque ou je travaillais, pour me rendre à son contrôle de math après un rapide échange de vêtement dans les toilettes – elle me fit d’ailleurs remarqué qu’un tel changement aurait été inutile si j’avais accepté de porter la même tenue qu’elle ce matin-là – tandis qu’elle pris ma place devant mon livre de physique à la bibliothèque. Ce fût le premier test d’une longue lignée passés à sa place. Dès que je le pouvais et que je n’étais pas obligée d’en passer un pour moi, je me rendais aux examens de ma sœur que je réussissais toujours avec brio, faisant considérablement augmenter sa moyenne et lui permettant ainsi de ne plus faire le moindre effort. Tout le monde dans la famille ignorait notre petite combine bien sur, tout le monde sauf Bash, qui m’en voulait un peu d’accepter de faire une telle chose pour elle « Est-ce que tu crois qu’elle se mettrait en danger comme ça pour toi ? » m’avait-il demandé un jour et je n’avais pas répondu, préférant penser que c’était évidant qu’elle accepterait.
Et puis, voyant que nos petites combines fonctionnaient à la perfection, elle me demanda de la remplacer pour d’autres choses. Je la remplaçais lors d’un rendez-vous avec Mike pour qu’elle puisse sortir ave Lyle, je rompais avec Lyle pour qu’elle puisse sortir avec Spencer, j’allais faire du shopping avec Megan pour qu’elle puisse aller au cinéma avec Mike…bref. J’étais devenue sa doublure officielle, découvrant un monde qui m’était jusqu’alors interdit. Depuis toute petite, j’avais laissé la place de la « jolie jumelle » à ma sœur, lui laissant tout le loisir d’être ce qu’elle voulait être et refusant d’en faire de même pour ne pas la contrarier. Elle était la plus belle de nous deux, c’était ainsi. Pourtant, quand je jouais son rôle, personne ne semblait remarquer qu’ils étaient en présence de la sois disant moins jolie des deux. Bien sûr quand je jouais son rôle, j’arborais ses vêtements et son maquillage, mais ce qui faisait la différence, c’était l’assurance dont je m’autorisais à faire preuve. Etre drôle, sociable, attirante et agréable, je pouvais l’être quand j’étais Lee car ça ne lui retirait rien à elle. Résultat : le seul moment où je pouvais vraiment être moi-même, était quand j’étais elle…quelle ironie. Je découvrais le plaisir de rire entre copines, de porter des choses que je pensais détester et qui me mettaient sacrément en valeur, de flirter avec des garçons et de voir que moi aussi, je pouvais plaire. Mais dès que je reprenais ma place, je redevenais la jumelle invisible pour le bien être de ma sœur.

J’étais sa première fan, toujours là pour la rassurer sur sa beauté, son style et ses capacités, toujours là à l’encourager et à la pousser vers le haut car ça, elle en avait cruellement besoin. Assurée, elle avait l’air de l’être en permanence, mais c’était sans compter sur mon soutient et mes encouragements permanents. Ma sœur était pour moi l’être le plus beau sur cette terre. J’aurais tout fait pour elle et j’avais très vite compris, que déployer mes ailes, risquait de lui faire un peu d’ombre et de l’attrister. Ce jour là à l’école, où j’avais changé ma coiffure, fut le seul jour où j’avais obtenu des compliments pour moi et pas pour nous. Personne n’avait dit « que vous êtes jolies comme ça » mais bien « Emery tu es très jolie comme ça » et la tristesse dans le regard de Lee m’avait brisé le cœur. Bash m’a dit une fois qu’il avait l’impression que je m’éteignais pour qu’elle s’éclaire, et plus je grandissais, plus cette phrase faisait écho en moi.

Et puis vint le jour tant attendu de la fin du lycée. J’ai fini mon année avec les meilleures notes de tous les lycées de la région. On a même fait un article sur moi dans un journal local. La photo qui l’illustrait était une photo de Lee et moi et la légende qui l’accompagnait était « les Jumelles Sutton de Savannah, élèves d’excellence ». Mon accomplissement personnel était devenu le nôtre…tant pis. Lee avait été plus qu’heureuse de ce petit moment de gloire, alors j’étais heureuse.
Je fus reçue au MIT (entre autres nombreuses autres universités réputées), l’université de mes rêves, tandis que, grâce à ses notes obtenues grâce à moi, Lee fut acceptée à l’Umass Boston. Bien que située dans deux villes différentes, les deux universités sont à peine à 30 minutes l’une de l’autre. Alors maman nous prit un appartement à mi-chemin entre les deux où nous installer pour nos études. Mon année à Boston commençait dès le mois d’aout pour un programme d’intégration anticipé, tandis que celle de Lee commençait fin septembre : nous serions donc séparées quelques temps.

Je fus la première à partir, m’installant seule dans notre super appartement et découvrant le monde universitaire auquel j’aspirais tant. Pour la première fois de ma vie, j’étais totalement seule, loin de ma famille et de ma sœur, totalement libre d’être ce que je voulais. Je me fis même pour la première fois, une amie fille, Lauren, et un jour après notre première semaine à la fac, elle m’entraina dans un salon de coiffure pour un petit relooking. J’en ressortais quelques heures plus tard avec mes boucles légèrement raccourcies et teintées d’un rouge foncé, assez discret mais remarquable.
Je commençais à prendre mes marques à la maison et à Boston, savourant le plaisir de prendre toutes mes décisions pour moi et pour moi seule, recevant mes amis pour des apéros et découvrant que j’étais en fait bel et bien capable de me faire des amis en étant moi. J'avais un véritable challenge académique et était stimulée tous les jours, et je me laissais même convaincre par Lauren de participer à une soirée karaoké, attirant alors l’attention sur ma voix…bref ! Je vivais ma meilleure vie. Mais peinant à vivre sans moi, Lee débarqua à la maison un mois plus tard, bien avant son entrée en cours.
Pour la première fois de toute notre vie, le rapport de force était inversé : ici, j’avais des amis à n’en savoir que faire et elle était seule, et elle ne parvint pas à attirer mes amis vers elle, car ils n’avaient pas vraiment grand-chose en commun. Elle dût attendre sa rentrée pour commencer à avoir une vie sociale, tandis que je continuais à vivre la mienne, avec très peu de considération pour elle. J’avais gouté à la liberté et je n’étais pas prête à revenir en arrière. A Boston, je m’épanouissais, tandis que Lee faisait tout l’inverse.
Ici, elle était obligée de travailler, elle n’était plus la capitaine des cheerleaders et n’avait donc plus sa cour de suiveurs, et elle ne pouvait plus compter sur moi pour faire son travail à sa place : je visais bien sûr l’excellence et j’avais déjà beaucoup à faire. Et puis maintenant que nous n’avions plus la même couleur de cheveux, elle ne pouvait plus se servir de moi pour la remplacer.

Les vacances de Thanksgiving marquèrent le retour à Savannah en famille et le glas de ma nouvelle vie : à peine arrivée, maman me fit bien sûr savoir qu’elle ne cautionnait pas du tout ma nouvelle coupe de cheveux (Bash, lui, la trouvait super), et me reprocha de ne pas prendre suffisamment soin de ma sœur qui se plaignait régulièrement de la vie qu’elle menait à Boston. « Tu ne peux pas faire passer tes amis avant ta sœur Emery, ce n’est pas comme ça que je t’ai élevé. Tu sors sans elle, sans même te préoccuper de ce qui lui arrive ? Tu trouves ça normal ? » Je n’ai jamais vraiment répondu à ces accusations, mais une pensée tournait en boucle dans ma tête : ça ne semblait pas beaucoup la déranger quand les rôles étaient inversés et que Lee sortait systématiquement sans moi. Pire encore, elle me reprochait à moi de ne pas faire suffisamment d’efforts pour me sociabiliser. Ce fut ce jour là que je pris pleinement conscience que je ne pourrais jamais gagner face à Emily et qu’aux yeux de ma mère, j’aurais toujours tort.
Convaincue que j’étais incapable de prendre soin de ma sœur, elle lui conseilla de faire transférer son dossier à Savannah pour que « maman puisse veiller sur toi ma chérie » et Emily ne se fit pas prier. Le poisson qu’elle était se perdait un peu dans l’immense océan qu’était Boston, mais se sentait parfaitement à l’aise dans le petit bassin qu’était Savannah. Je dis donc au revoir à ma sœur et poursuivit mes études au MIT, tandis que Lee faisait son entrée à SSU, retrouvant bon nombre de ses amis du lycée. Mais ce n’était de toute évidence, pas assez pour qu’elle soit parfaitement heureuse. Lors de mon retour suivant pour les fêtes de fin d’année, maman me dit qu’Emily dépérissait depuis son retour et que j’étais la seule à pouvoir faire quelque chose pour elle.
Emily avait en effet bien changé : elle avait des cernes sous les yeux et semblait un peu amaigrie, le tout apparemment par ma faute. « Tu sais bien que vous ne pouvez pas vivre l’une sans l’autre » m’avait dit maman…moi je le pouvais, mais pas Lee de toute évidence. Alors je fis transférer mon dossier à SSU au College of Sciences and Technology et reprit sagement ma place dans la chambre que je partageais avec Emily qui sembla revenir immédiatement à la vie. Deux semaine après mon retour, j’étais déjà réinstallée sur le fauteuil d’un coiffeur qui corrigea ce que ma mère appelait ma « petite erreur capillaire ». Emily était avec moi et elle fit couper un peu ses cheveux pour qu’ils correspondent aux miens : nous étions à nouveau parfaitement semblables.


Les cours à SSU étaient biens. Moins passionnants qu’au MIT mais bien. Je me plaçais bien vite parmi les premiers de ma promo et repris bien vite le cours de ma vie, en tâchant de me refaire des amis par ici. Heureusement pour moi, nous n’étions pas dans les mêmes cours avec Lee : j’avais donc la liberté d’être celle que je voulais et de me lier a d’autres, sans l’ombre omniprésente de ma jumelle. Bien sûr certaines personnes nous confondaient parfois sur le campus, mais Lee s’en amusait. Elle ne reprenait jamais personne qui la prenait pour moi, s’amusant à jouer mon rôle et attendait de moi que j’en fasses de même, pour redonner vie à nos échanges de jumelles. Résultat : aujourd’hui encore très peu de personnes à SSU savent que nous sommes jumelles. Nous faisons en sorte de nous voir en dehors du campus et nous avons chacune nos cercles d’amis quand nous y sommes (ce qui, je dois bien l’avouer, n’est pas pour me déplaire). Un avantage non négligeable à mon retour malgré tout : je retrouvais Bash et nos bonnes habitudes de déjeuner ensembles.


Lors de mon inscription et de mes choix de cours, j’ai opté pour un cours d’art et photographie. Maman ne comprit pas bien pourquoi, mais j’ai toujours eu une drôle de fascination pour les dessins et la peinture, alors je me suis dit que c’était l’occasion de me lancer. Pour la première fois de ma vie, je me lançais dans quelque chose de nouveau et dans un terrain totalement inconnu, complètement seule. Pas d’Emily, ni de papa ni de Toby ni même de Bash sur lesquels m’appuyer : c’était mon moment à moi. J’adorais ce cours et la petite bulle de fantaisie qu’il représentait dans mes semaines très studieuses et j’y rencontrais des personnes vraiment géniale…surtout un quelqu’un vraiment génial. Tyler Swanson. Tyler était beau, drôle, intelligent et surtout, bien plus grand que moi (oui parce que j’ai sans doute oublié de préciser que ma sœur et moi sommes particulièrement grandes). Tyler m’a plus tout de suite et dès le début du semestre, il devint mon partenaire. Nous faisions nos projets, nos dossiers et autres photos ensembles, passant un temps considérable à nous connaitre et devenant très vite de très très bons amis. Je réalisais bien trop tard que j’avais des sentiments pour lui, tandis que lui ne me considérait que comme une amie…comment pouvait-il en être autrement quand je le traitais comme un de mes potes, un bon copain avec qui j’aimais rigoler, déconner et sortir à l’occasion, mais jamais de « dates ». Alors nous étions amis…de très bons amis, à tel point que nombreux parmi ceux qui nous côtoyaient de près, étaient ceux qui pensaient que nous étions ensembles.  

Quelques semaines à peine après mon arrivée, Lee me demandais déjà de reprendre sa place auprès de ses copains et amis, afin de se libérer du temps pour faire autre chose et ne pouvant lui refuser quoi que ce soit, j’acceptais et ils n’y voyaient que du feu. J’étais douée à ce jeu-là à présent, sans doute une meilleure Emily qu’Emily elle-même, car Lee, je la connaissais par cœur, bien mieux qu’elle ne se connaissait elle-même. Je connaissais chacune de ses moues, chacune de ses réponses avant même qu’elle ne les ait pensées, ce qui la faisait rire et de quelle façon, ce dont elle avait peur et ce qui la mettait en colère…toutes ces années passées à m’inquiéter pour elle et à m’assurer qu’elle aille toujours bien m’avait transformée en une véritable experte. Mais la réciproque n’était pas forcément vraie, tant et si bien que je refusais systématiquement quand elle me proposait de prendre ma place. Je ne voulais pas qu’elle tente d’être moi car elle n’y arriverait pas. Comment le pourrait-elle étant donné qu’elle ne me connaissait pas.

Et puis un jour, alors que j'avais oublié un objectif à la maison, j'y suis passée rapidement en compagnie de Tyler, sur le chemin de la séance photo qui nous attendais, en espérant secrètement qu'Emily n'y serait pas. J'ai récupéré rapidement mon objectif dans la chambre, et retrouvait à mon grand désespoir, Emily en maillot de bain dans le salon (elle revenait d'une séance bronzette dans le jardin) se présentant à un Tyler subjugué et un peu confus. Son regard oscilla quelques instants entre elle et moi, avant de s'arrêter sur elle, de sourire et de se présenter à son tour, victime lui aussi de l'effet Emily. J'étais à présent totalement invisible à ses yeux et il n'y avait plus que ma sœur dans son esprit. Nous étions toujours amis bien sûr, mais je n'avais à présent plus la moindre chance de le faire s'intéresser à moi autrement qu'en tant qu'amie, par après qu'il ait posé les yeux sur ma sœur.

Il l'invita bien vite à sortir ce qu'elle accepta sans se faire prier et depuis, ils se voient de temps en temps. Il lui a demandé d'être sa petite amie il y a 3 mois et elle a accepté...mais il semblerait que ce soit un statut très compliqué à tenir pour ma soeur chérie, car à peine 3 semaines après s'être mise en couple avec lui, elle me demandais de me faire passer pour elle lors de leur rendez-vous hebdomadaire, afin de sortir avec un dénommé Nick...et bien sûr j'acceptais. Tyler sembla ne rien remarquer, bien qu'il releva deux trois petites différences, qui ne l'alertèrent pas cependant. Alors elle me demanda de réitérer l'expérience la semaine suivante et fréquemment depuis.

Voilà où nous en sommes aujourd’hui : je vis chez mes parents avec ma sœur, bien que j’ai une chambre sur le campus, dans laquelle j’arrive parfois à m’éclipser pour avoir quelques instants de quiétude, j’étudie un domaine que j’aime, qui me passionne et dans lequel j’excelle et j’ai mes cours d’arts pour me changer les idées, je suis…j’ai des sentiments étranges pour un des garçons de ma classe qui sort avec ma soeur (et un peu avec moi sans le savoir), j’ai un frère qui m’aime et que je suis heureuse de retrouver et j’ai une jumelle que j’aime et pour qui je ferais tout. Voilà. Vous connaissez tout de ma vie à présent.