Mon histoire n’a rien d’exceptionnelle. Elle ne sort pas de l’ordinaire. Elle ressemble à celle de millier d’autres personnes sur cette terre. Elle n’est donc pas ultra passionnante. Mais elle explique ce que je fais ici, à Savannah, dans cette maison à Tybee Island, vivant avec un homme et un enfant qui ne sont pas les miens, alors je vais la raconter.
Je suis née un beau samedi d’été il y a 34 ans de cela, dans la belle ville de Charlotte en Géorgie (US). Mes parents me désirant plus que tout, je fus très bien accueillie et choyée. Bébé, mes yeux gris et mes cheveux d’un roux flamboyants attiraient très souvent l’attention, mais ils n’avaient rien d’exceptionnels : il suffisait de regarder ma mère pour comprendre d’où je tenais ces traits si particuliers.
Je suis restée fille unique jusqu’à mes 4 ans, âge auquel ma petite sœur Josie Lou fit son entrée dans nos vies, faisant de moi une grande sœur ravie. Je pris très tôt très à cœur cette nouvelle mission et n’avais qu’une chose en tête : veiller sur cette petite crevette, aussi rousse que maman et moi.
Josie et moi avons donc grandit dans une famille aimante et dans une entente des plus parfaite. On partageait tout, les disputes étaient plus que rares et les éclats de rires remplissaient la maison. Il faut bien le dire, notre vie à quatre était parfaite.
Et puis le malheur s’invita, comme il le fait si souvent dans tant d’autres foyers, nous retirant maman peu de temps après mes douze ans. Dévasté d’avoir perdu l’amour de sa vie, papa prit un peu de distance par rapport à Josie et moi, ses deux petites poupées ressemblant tant à sa douce et tendre, nous mettant un peu de côté et nous laissant un peu seule. Du haut de ses huit ans, Josie était dévastée et totalement perdue. Je ne trouvais alors rien de mieux à faire que d’essayer de la divertir pour lui faire oublier sa peine, ignorant alors totalement la mienne.
A partir de cette funeste journée, je devins une sorte de petite maman dans la maison, faisant tout ce que maman ne pouvait plus faire et ce que mon père n’était plus capable de faire : je préparais nos déjeunés pour l’école, aidait Josie pour ses devoirs, m’assurait que ses vêtements soient toujours propres et repassés, la déposait et la ramenait de l’école, préparais le diner pour tout le monde…oui, j’étais une vraie petite maman.
A mes quinze ans, papa avait un peu repris du poil de la bête, mais je ne cédais pas ma place pour autant : j’étais la maman ici et ça n’était pas près de changer. Je continuais donc à prendre soin de tout le monde à la perfection, persuadée que ma petite Josie était encore la petite fille perdue et esseulée que j’avais prise sous mon aile, sans réaliser que mon petit oisillon avait bien grandit.
***
Je vais prendre le relais dans cette histoire. Moi, c’est Dean Fitzpatrick, le fiancé de Arya. Les sœurs Everett, je les connais depuis une dizaine d’année environs. J’ai rencontré Arya à la fac et ça a tout de suite matché entre nous. A notre premier Thanksgiving, elle m’a présenté à sa famille et j’ai fait la connaissance de la parfaite petite Josie dont Arya me parlait sans cesse. Elle était adorable, vraiment, mais je ne pouvais m’empêcher de penser qu’elle jouait la comédie…je suis avocat après tout et je cerne les gens assez facilement. Je n’ai rien dit à Josie à ce moment-là et j’ai gardé mes suspicions pour moi.
Mais à mesure que notre relation avançait, j’entendais de drôles d’histoire concernant Josie et je finis par faire part de mes doutes à Arya, qui bien sûr, ne m’écouta pas. Les choses ont pris une tournure totalement différente le jour où Josie rencontra Keegan, son premier vrai petit ami (elle avait plein d’aventures dont sa sœur ne savait rien bien sûr, mais jamais rien de sérieux). Je me souviendrais toujours du jour ou ce Keegan est entré chez les Everett, couvert de tatouage, un débardeur noir et un jean déchiré pour tous vêtements…la vraie tenue du gendre parfait. Papa Everett l’a tout de suite détesté et Arya était méfiante. Il présentait vraiment mal, mais après avoir discuté avec lui, je réalisais que ce n’était pas un mauvais bougre. Mais Arya ne voyait qu’un homme étrange, plus âgé que sa sœur, couvert de tatouage, avec un boulot plutôt obscure (artiste, tatoueur, peintre…on ne sait pas vraiment ce qu’il fabrique) avec un air séducteur au visage qui ne lui plaisait pas du tout.
Après une année de relation entre ces deux là, Arya n’était toujours pas une fan de Keegan, surtout avec tout ce que Josie lui en disait : elle ne pouvait pas rentrer ce weekend parce que Keegan avait prévu autre chose pour eux, elle l’appelait en pleurant parce qu’il avait regardé une autre fille, elle rentrait à la maison sans lui, arguant qu’il n’avait pas eu envie de venir, il s’était fait un nouveau tatouage sans la prévenir, il l’emmenait à l’autre bout du pays alors que des vacances en famille étaient prévues depuis des mois, et il décidait qu’ils allaient tous les deux déménager pour Savannah, sans demander l’avis de quiconque…bref. Il ne gagnait pas le moindre point dans la famille. Mais je trouvais toujours ça un peu étrange…tout ça ne correspondait pas du tout à l’image que je me faisais de lui.
Et puis un jour, après des mois de silence, Josie débarqua à la maison, le ventre rond et l’air abattu : il l’avait mise enceinte et n’en avait rien dit à personne et l’avait laissé voyager seule jusqu’à Charlotte pour retrouver sa famille. Josie avait dit que Keegan ne voulait pas qu’ils soient au courant de cette grossesse, mais qu’elle ne pouvait pas leur cacher une telle nouvelle. Elle avait l’air si misérable que je dû me résoudre à accepter la vérité : c’était bel et bien un minable et je m’étais trompé sur son compte en pensant le contraire.
Josie à eut l’enfant, une charmante petite fille qu’elle appela Laura, comme leur maman, et elle revenait souvent à Charlotte pour qu’on puisse la voir, toujours sans Keegan.
Et puis un jour, Arya reçu un étrange coup de fil qui allait changer toutes nos vies : Josie était partie. Elle avait quitté le domicile conjugal en pleine nuit, ne laissant derrière elle que ces quelques mots « je ne peux plus continuer comme ça. La mascarade a assez durée…prend bien soin de Laura ». Il avait prévenu les autorités qui attendaient 48h avant de lancer les recherches, mais il était très inquiet et un peu dépassé. Arya pris immédiatement la route pour Savannah, pour la première fois depuis que sa sœur y vivait (Josie avait toujours insisté pour qu’elle ne vienne pas, arguant que sa venue déplairait à Keegan et qu’elle ne voulait pas le contrarier), prête à en découdre avec ce beau-frère si détesté.
Mais ce fut un homme abattu et dévasté qu’elle trouva dans cette maison qu’elle découvrait pour la première fois. La première chose qu’elle remarqua était que cette maison n’avait rien à voir avec ce que Josie lui en avait dit. A l’entendre, elle vivait presque dans un trou à rat, parce que Keegan n’avait pas les moyens de s’occuper convenablement d’elle et de sa fille, alors qu’elle remarquait avec plaisir que cette maison était tout à fait acceptable.
A son arrivée, Keegan avait la petite Laura alors âgée de deux ans dans les bras, des cernes monstrueux sous les yeux et semblait au bout du rouleau : il n’avait rien à voir avec l’homme qu’elle avait rencontré des années plus tôt. Le départ récent de Josie ne pouvait pas être la seule raison pour expliquer son état : cela faisait bien longtemps qu’il était comme ça, c’était évident.
Elle passa immédiatement en mode efficacité (c’est une vraie warrior ma petite femme, ce qui fait d’elle une avocate ultra talentueuse), prenant le relais avec la petite pour que Keegan puisse dormir un peu, et attendit impatiemment que les autorités commencent les recherches. Une semaine plus tard, les premières nouvelles tombèrent : elle avait été repérée en compagnie d’un homme du côté de New-York et depuis, plus rien. Elle était partie de son plein gré et n’avait pas l’air en danger, alors les recherches s’arrêtèrent.
Choquée, Arya avait du mal à croire que sa petite sœur avait pu faire une telle chose, disparaitre comme ça, laissant son enfant et son homme derrière elle, sans plus d’information. Pire encore, elle ne pouvait pas croire qu’elle soit partie sans la prévenir, elle, sa sœur, son amie, sa confidente. Elle décida de rester un peu plus longtemps pour sa nièce qui le lui avait demandé et pour essayer d’y voir un peu plus clair, mais cette idée ne lui plaisait guère : elle n’était pas vraiment en bon termes avec Keegan et rester sous le même toit que lui ne la mettait pas en joie. Mais elle ne pouvait pas laisser cette petite tête rousse toute seule. Elle n’avait pas pu le faire quand elle avait 12 ans avec sa sœur et ne pouvait toujours pas s’y résoudre aujourd’hui avec sa nièce.
Elle fait donc depuis des aller-retours entre Savannah et Charlotte pour s’occuper de sa nièce. Elle s’occupe de la plupart de ses dossiers à distance et ne rentre que quand elle doit plaider et pour rencontrer les clients, tandis que je tiens tant bien que mal la maison sans elle. Ça fait beaucoup pour elle, je le vois bien, mais elle ne se plaint jamais de rien (juste de devoir côtoyer Keegan bien sûr) …une vraie warrior, comme j’ai dit.
Je fais parfois le trajet avec elle, quand je le peux, mais je dois m’occuper du cabinet. Résultat : nos projets de mariage ont été encore repoussés. Je ne la vois pas autant que je l’aurais souhaité, mais je ne peux pas lui en vouloir…elle fait, et fera toujours ce qu’elle peut pour aider sa famille. C’est bien pour ça que je l’aime après tout.